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Photo Yannick Vigouroux, sur cette photo : sténopé de Judith
Baudinet
Cet
été, Le Lieu invite le photographe et critique d'art, Yannick
Vigouroux pour une carte blanche.
Le
projet consiste en la présentation de ses propres images et en
l'invitation d'autres artistes photographes, ayant ce que l'on peut
appeler une pratique pauvre de la photographie. Ce travail de
collaboration entre Vigouroux et Le Lieu s'est élaboré en deux
temps : choix des auteurs / choix des images, afin de produire une
exposition collective originale.
Foto
Povera, qu'est-ce que c'est ?
Depuis
plusieurs années Vigouroux défend notamment les « pratiques
archaïsantes» de la photographie contemporaine, par sa démarche
artistique comme par ses écrits, ainsi qu’avec le collectif Foto
Povera, dont la sixième exposition a eu lieu en 2010.
Foto
Povera est une assemblée plutôt informelle qui se réunit avant
tout autour d'un blog qui constitue une plateforme d'expression et un
espace d'échange entre artistes.
Le
co-fondateur du collectif écrit : « avoir « une
pratique archaïsante », c'est avant tout une attitude, une
tournure d'esprit. Depuis les années 1970, voire les années 1960,
ont en effet émergé des pratiques qui contestent les contraintes de
la doxa photographique vont
à rebours d'une utopie techniciste de perfection, de la netteté de
l'image, qui habite l'histoire de la photographie depuis ses débuts.
Ils refusent la norme dominante de la photographie piquée, bien
cadrée. »
Le
terme Foto Povera renvoit à l'Arte
Povera « attitude »
(plutôt qu'un mouvement, terme que les artistes d'Arte Povera
rejettent) prônée par des artistes italiens depuis 1967.
Les artistes d'Arte
Povera (
Giovanni Anselmo, Luciano Fabro, Gilberto Zorio …) adoptent
un comportement qui consiste à défier l'industrie culturelle et
plus largement la société de consommation.
Chez
Foto Povera, l'usage d'un appareil bon marché constitue un acte
politique, au même titre que les actes de consommation courante pour
les citoyens. Ce n'est pas seulement la question de l'économie qui
se pose, c'est aussi un état d'esprit adopté et revendiqué. La
pauvreté apparente des photographies et surtout des moyens mis en
œuvre, est ici un contrepoint aux images « parfaitement
parfaites » qui inondent les salons photo. Les auteurs de Foto
Povera refusent ces normes iconiques, interrogeant du même coup les
pratiques de la photographies (des usages amateurs aux usages
professionnels) et posant la question du caractère d'un auteur.
Bien
qu'en apparence très accessibles, ces ensembles photographiques n'en
constituent pas moins, autant de discours artistiques, portés par
des intentions singulières. Les boîtiers sont ici le sténopé, la
box, le Holga, le smartphone, ainsi que des fabrications maison ou
encore un boîtier plus conventionnel dans lequel sont insérés des
objets au moment de la prise de vue. Pour la plupart d'entre eux, ces
appareils présentent un certain nombre d'imperfections, comme le
manque de définition, les déformations optiques, les entrées de
lumières, le bruit numérique ...
Les
photographes exposés retournent ces « défauts » au
profit d'un regard poétique sur le monde qui les entoure, se
dégageant ainsi de la performance technique. En somme, avec de
faibles moyens, ils donnent à voir une forme de banalité, les non
événements présents en périphérie de nos vies.
« Ce
sont les enjeux majeurs de telles pratiques : montrer que le monde
peut-être perçu et surtout construit
autrement,
recréé subjectivement, qu'il est possible sinon urgent et
nécessaire d'échapper aux rectangles normatifs des télévisions,
des écrans d'ordinateur, et des téléphones mobiles. Que l'on peut
échapper au diktat des marques, au « prêt à penser »
et « prêt à regarder » de la société de
consommation. »
Avec
ces divers rendus esthétiques, cette exposition démontre qu'une
démarche artistique peut être à la portée de chacun, se réaliser
avec une économie de moyens et pourtant détenir une profondeur et
un engagement qui dépasse le seul acte photographique.
Emmanuel
Madec
Pour
la Galerie Le Lieu, juin 2012